Nicolas Hérubel
Texte de François Barré, publié en 2007 dans – B – Joindre et Rejoindre L’art et le métro de Toulouse.
Nicolas Hérubel est né à Rouen en 1959. Son œuvre fait appel aux mécanismes de déclenchement d’images mentales, aux puissances évocatrices des assemblages, à la présence tangible d’objets matériels auxquels semble manquer un complément indispensable, un complément d’objet, direct ou indirect : le corps, l’espace, le mouvement, l’usage. Au début était l’apprentissage du corps, de son propre corps prédéterminé par des données génétiques, familiales, sociales : un corps qui apparaissait donc comme un objet fini échappant à son pouvoir et qu’il fallait ressaisir. Ce premier travail de restitution du « corps en rapport avec ses dimensions » à donné lieu littéralement ( car le corps vit l’espace et l’éprouve, de sa mesure proche jusqu’à l’horizon du lointain) et a produit des machines singulières répondant à la double ambition – qui n’est pas paradoxale – d’être reçues par tous en tant qu’œuvre d’art et adaptées à un seul, puisque son corps et ses dimensions n’appartiennent qu’à lui. La première mesure fut l’empan, puis vinrent des « machines » à marcher, à scier ; des assemblages complexes comme une « panoplie » ou une « unité cantonnière ». Cette mesure de soi au monde était troublante par son apparente rigueur que rien ne pouvait contredire, tant la « machine » explicitait des données vérifiables et un fonctionnement. Mais elle révélait en même temps une « sculpture » qui outrepassait les « mesures et s’implantait dans un imaginaire plastique entre Kafka (et les métamorphoses du corps) et Robert Schuman congédiant le confort de la virtuosité pianistique pour éprouver la contrainte de doigts enserrés dont chaque mouvement obligeait à l’effort.
Le séjour de Nicolas Herubel à la villa Médicis lui permit d’établir un état des lieux ( il fera plus tard un dépôt de bilan) et d’élargir son champ d’action. Changement de matériaux d’abord ; auparavant il utilisait presque exclusivement la main courante et la tôle larmée ; à Rome, il s’intéresse aux matériaux trouvés, porteurs de traces et d’histoires. Une série de dispositifs témoignent avec une force qui ne se départit jamais d’un sentiment de discrète fragilité, d’une emprise plus vaste, plus transformatrice. Le familier (objets, matériaux) nous fait reconnaître ce qui, immédiatement, nous semble énigmatique. Le monde s’est agrandi. Le dispositif N°5, qui mélange des éléments pauvres ou précieux, est constitué d’une sorte de brancard à roulettes portant un escabeau, placé au pied d’un socle haut et gracile de baguettes de bois surmonté d’une planchette sur laquelle sont posés les matériaux de « grands travaux » dont on sait qu’ils sont passés ou futur. Le dispositif n°4 prend en charge la Terre entière en un Hommage à Galilée. Un vélo tourne autour d’un axe. L’axe et le vélo supportent chacun un globe terrestre sur lesquels sont disposés des miniatures de Fiat 500 et de scooter.
L’art de Nicolas Herubel est mystérieux en cela qu’il part du quotidien, de sa banalité apparente, des objets familiers (ils peuvent être des billots de boucher, des radiateurs, des matelas des vêtements ou des outils), des interstices de l’espace et du sens pour mieux nous égarer et nous amener poétiquement à la genèse de l’œuvre et à une réflexion sur l’unité des choses. Son travail, qui s’inscrit dans la durée, loin de toute immédiateté, met en relation des éléments qui peuvent paraître hétéroclites mais dont il donne à voir qu’ils sont comme la vie, non pas dissociation mais totalité. Ces objets, toujours près du corps et de ses activités, il les fait chair, les incarne. Les composantes de ces ensembles n’ont pas d’autonomie, ni les uns par rapport aux autres, ni dans leur relation à l’espace. Ils forment un système de relation qui ne peut exister sans la force d’un lien symbolique ( d’utilité ou de gratuité) les solidarisant entre eux et avec leur environnement. C’est à dire que les œuvres de Nicolas Herubel font parler l’espace dans lequel elles sont installées et que cet espace lui-même les constitue. Qu’il soit à la Villa Médicis ou dans le métro de Toulouse, le lieu, son histoire, son air et ses usages, est essentiel. Il en a été ainsi avec le quartier de Saint-Agne. »J’ai été véritablement séduit, dit-il en 2005, par ce quartier pour son caractère universel et éternel : c’est le quartier de nos dessins d’enfant ! Avec un côté village dû à son face à face entre l’école et l’Église (hautement symbolique en cette année de centenaire de la loi sur la laïcité), ses allées de platanes centenaires, ses petits commerces ombragés … et même sa voie ferrée (….) j’ai voulu proposer une mise en scène simple et authentique qui renvoie à l’unique et au particulier, quelque chose que l’on a tous au fond de notre mémoire. Le projet se décompose en quatre scènes, comme quatre mouvements possibles d’une pensée. Le premier »tableau » nous met en présence d’un écran de verre dépoli, serti d’un périmètre de miroir. En surimpression, un report fait apparaître une échelle et un tricycle. À proximité immédiate, le plan du quartier au dos d’un verre dépoli. Vient ensuite « l’espace de dilatation » constitué d’un miroir déformant concave où un cerf-volant en verre thermoformé retient en suspend notre image le temps d’un instant. La quatrième scène reprend le principe de l’écran, cette fois de taille panoramique, avec en incrustation l’image d’un vélo. Ces quatre scènes se veulent des images résiduelles que l’ont peut s’accaparer tour à tour au gré de son humeur. Une image fugitive, à choisir en conformité avec nos épopées quotidiennes.(…) Le tricycle, le vélo, l’échelle, le cerf-volant : ce sont autant d’évocations du mouvement, en deux ou trois dimensions. Une manière de redonner de la liberté au métro contraint par ses rails à se déplacer en une seule dimension. »